Tel fut l’enjeu de la quatrième table ronde du Salon international du livre jeunesse et de la bande dessinée de Yaoundé (SALIJEY) organisée le mercredi 07 décembre 2022 autour du thème  : Littérature de jeunesse et handicap : quelles représentations dans les œuvres africaines contemporaines ?

Rencontre d’experts venus des quatre coins du monde à savoir Nsah Mala (Écrivain de jeunesse – chercheur installé au Cameroun et au Danemark), Armelle Touko (Écrivaine, éditrice de jeunesse – Directrice éditions Adinkra basée au Cameroun), Zeinab Diomandé (Écrivaine de jeunesse – Journaliste résidant en Côte d’Ivoire) et Chimène Ngoukam Kouékeu (Écrivaine de jeunesse vivant Cameroun), ce panel a été modéré par Christian Elongué, Président de Muna Kalati.

Ce fut une session hautement fructueuse qui a permis d’identifier des actions clés en vue d’une meilleure représentation du handicap dans la littérature africaine contemporaine. Sans faillir à la tradition du chercheur de “définir les concepts dont il traite” enseignée par le célèbre sociologue Emile Durkheim, les panélistes ont, de prime abord, explicité la notion du handicap.

1.     Le handicap et ses formes

Bien que revêtant un caractère polysémique, selon Armelle Touko, le vocable “handicap” désigne toute intégrité physique ou mentale passagèrement ou définitivement diminuée, soit congénitalement, soit sous l’effet de l’âge voire même d’un accident. Il existe sous deux formes bien distinctes à savoir le handicap physique qui s’explique par des maladies, des malformations et déformations de certaines parties du corps, etc. En clair, tout ce qui est visible. Quant au handicap mental ou invisible, il implique toute forme de barrière, pensée limitative empêchant un individu d’utiliser son plein potentiel. Ainsi, le handicap est un mal à l’origine de nombreuses souffrances telles que la discrimination, la marginalisation, le racisme voire même le rejet et j’en passe. Ce qui est tout à fait l’image d’une injustice sociale des uns envers les autres.

Partant, les livres apparaissent comme de puissants canaux pour amener les jeunes à être conscients du handicap, le comprendre afin de s’accepter avec leurs différences. C’est d’ailleurs l’objectif visé par Armelle qui créa la collection 12 planches pour expliquer aux enfants, différentes problématiques sociétales, du Coronavirus au handicap. Au-delà des jeunes, ces livres sont également utiles aux adultes. Malheureusement, très peu d’écrivains y consacrent leurs plumes et peu d’œuvres abordent les sujets de handicap.

2.     La représentation du handicap dans la littérature jeunesse contemporaine

Le constat est évidemment inquiétant. Le pourcentage d’œuvres qui abordent le handicap est très bas. Toujours d’après Armelle Touko, depuis sa date de création, sa maison d’édition Adinkra n’a enregistré au total que deux ouvrages traitant le handicap. En effet, il y a un manque global de représentation du handicap dans la littérature jeunesse contemporaine bien que l’Afrique ait les moyens de la promouvoir à travers des contenus variés dans l’univers du livre jeunesse comme le fait remarquer Nsah Mala, l’auteur de Andolo, l’albinos talentueux. Cette faible représentation est due à plusieurs facteurs qu’il convient de préciser ici. Ce sont entre autres:

  • Le manque de motivation chez certains auteurs d’écrire sur les sujets de handicap. En effet, ces derniers ne trouvent pas d’intérêt particulier à écrire des œuvres qui parlent de handicap. Si cela n’est pas rentable pour eux, ils ne s’y aventurent pas du tout au profit d’autres productions plus juteuses.
  • La délicatesse des sujets du handicap qui n’encourage pas certains écrivains. Écrire sur un problème de handicap requiert d’énormes recherches et des investigations approfondies. Si l’écrivain en fait fi, il est fort probable qu’il heurterait les sensibilités des lecteurs par sa méconnaissance du sujet qu’il aborde. C’est donc un parcours du combattant que certains jeunes auteurs abdiquent illico presto. Comme le disait Armelle Touko, “un auteur de jeunesse doit avoir une grande empathie.”
  • Le manque d’assurance d’autres auteurs quant à la distribution de leurs productions sur de grandes plateformes permettant à leurs œuvres d’être continuellement accessibles. Comme l’expliquait Nsah Mala, il peut achever la rédaction d’un manuscrit mais ne le publie que lorsqu’il trouve un éditeur pouvant  faire voyager son œuvre sur de grandes plateformes telles que Amazon.com.

Mais, face à ces difficultés, des solutions peuvent être envisagées.

3. Les solutions envisageables pour une meilleure représentation du handicap dans les livre jeunesse

La première chose à faire selon Chimène Kouekeu, l’auteure de Mara, est que les écrivains et éditeurs africains devraient arrêter souvent de se victimiser vu qu’il leur incombe cette responsabilité de produire les supports utiles servant de représentation de la société africaine dans toute sa réalité. Pour elle, “c’est un devoir moral et social des auteurs et éditeurs de jouer ce rôle de représentation du handicap dans les livres jeunesse.” Outre cette suggestion fort bien fondamentale, il faudrait également :

  • Encourager et accroître la collaboration entre les auteurs ayant un handicap et ceux n’en ayant point. 
  • Promouvoir davantage les livres existants portant sur le handicap. C’est dans cette optique que Muna Kalati a réalisé une interview avec Nsah Mala, dont l’œuvre porte sur un albinos.
  • Les éditeurs doivent intentionnellement et délibérément sélectionner, éditer et publier des livres abordant la diversité et le handicap. Et aussi intégré les personnes ayant un handicap dans les ateliers de formation à l’écriture ou l’illustration, afin ces derniers puissent eux-mêmes décrire leurs réalités. Un éditeur est avant tout un éducateur avant d’être un businessman. Donc sa responsabilité sociétale prime sur l’intérêt commercial.
  • Une bonne synergie entre éditeurs et auteurs jeunesse permettrait une promotion plus accrue des ouvrages jeunesse sur le handicap. Ne dit-on pas souvent que l’union fait la force? Les efforts et actions des acteurs du livre jeunesse doivent être consolidés autour d’un idéal commun qui met également au centre des ses priorités la représentation du handicap dans les œuvres africaines contemporaines.
  • La création d’événements ou récompenses célébrant les auteurs, illustrateurs et éditeurs jeunesse ayant largement contribué à la promotion du handicap au cours de l’année.
  • Une meilleure collaboration entre les acteurs du handicap et les autorités ministérielles afin de bénéficier de soutien financier, matériel voire même institutionnel et faciliter l’insertion des handicapés dans les ateliers d’écriture.

Au terme de ces échanges de la quatrième table ronde du SALIJEY, il ressort que le handicap détient une faible représentation dans la littérature jeunesse en particulier mais surtout dans la littérature africaine contemporaine en général. Ainsi donc, il y a urgence que les solutions susmentionnées soient explorées en vue de renverser la tendance en accordant davantage de priorité aux voix des auteurs handicapés et aux histoires de personnages handicapés réels et vivants qui font leur chemin dans le monde.

 


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